Transmettre des savoirs à l’ère du numérique.
(paru dans AGIR, le blog de Patrick Figeac)
Nous vivons aujourd’hui la troisième révolution majeure ; aprés l’invention de l’écriture et de l’imprimerie, voilà qu’arrivent l’informatique et Internet. Toutes les trois ont modifié le rapport que nous entretenons au savoir, à la connaissance, en externalisant la mémoire, en libérant nos capacités cognitives pour des tâches d’invention et d’imagination.
Les conditions nouvelles de la transmission du savoir bouleversent notre organisation psychique d’une manière fondamentale .
Longtemps, le savoir s’est développé de manière cumulative et, brusquement, nous assistons à des changements de paradigmes, à des bifurcations imprévues dont personne ne sait où nous conduiront les rapprochements inopinés qui résultent de la condition actuelle. Ce qui est certain, c’est que la forme classique de la transmission du savoir , la forme scolaire est désormais dépassée.
Nous vivons la fin de la « présomption d’incompétence » qui a longtemps délimité l’espace de ceux qui disposent de la connaissance des autres . Jusqu’alors nous n’avions jamais pensé que nous pourrions appliquer le mot « démocratie » au savoir. Or, la démocratie du savoir est un fait acquis !
Dans ces conditions, comment l’usage de ces technologies à l’école peut-elle contribuer à l’émergence de la pensée?
Trois exigences semblent nécessaires pour réussir cette mutation:
– Exigence de « vérité » tout d’abord: si le numérique abolit toute verticalité dans l’acte pédagogique en laissant les élèves seuls, au contact d’informations multiples, il compromet la mission même de l’école. En revanche, si le professeur incarne cette exigence de verticalité, s’il l’assume clairement en posant méthodologiquement avec eux les questions qui interrogent le « donné », alors nous pouvons espérer que l’acte pédagogique soit restauré et que l’éducation retrouve sa juste place parce que des sujets s’instituent comme êtres pensants.
– Exigence du sursis ensuite entre la perception et le jugement, entre la pulsion et l’acte, entre la conception et l’exécution.
– Exigence enfin à l’entrée dans la fonction symbolique qui permet de « penser l’absence » et de travailler psychiquement sur ce que l’objet ou la personne évoquent lorsqu’ils disparaissent de notre champ de vision. La pensée symbolique permet de se dégager de la simple production de l’image pour ouvrir la voie à l’imaginaire
L’entrée du numérique à l’école pose deux questions :
– Que transmettons-nous à travers lui de « l’humaine condition »?
– Comment retisser le lien entre les générations pour que nous puissions sortir de nos solitudes sans basculer dans le mimétisme?
Face à ces technologies qui envahissent notre quotidien, nous devons réfléchir et nous asssigner, comme d’autres, à la modestie.